Christianisme et science : Sont-ils compatibles ?

Méditations spirituelles 17/03/2021

Del Ratzsch | Dialogue Volume 1, No. 1 (1989)

De nombreux chrétiens acceptent la science et accomplissent des travaux scientifiques ; historiquement beaucoup de scientifiques parmi les plus connus ont été des chrétiens ; pourtant certains ont le sentiment que la science n’est pas la vocation première du chrétien. Que se cache-t-il derrière ce rejet ?

D’abord certains chrétiens soutiennent que nous ne devons pas être concernés par les choses de ce monde, ou que d’autres tâches essentielles du chrétien, le témoignage par exemple, sont plus importantes. Répandre l’Evangile est évidemment capital, et si nous avions à choisir entre cela et travailler pour la science, celle-ci devrait passer après. Mais ce choix n’est pas une alternative absolue pour la communauté chrétienne dans son ensemble, et même pas toujours pour chaque individu. La vie chrétienne est la vie dans son entier, dans sa plénitude. Elle a une place pour les pêcheurs, pour les médecins, les fabricants de tente, les collecteurs d’impôts… et les scientifiques.

D’autres chrétiens pensent que la science est peut-être par nature contraire au christianisme. Après tout, la science ne suppose-t-elle pas le déterminisme (nous débarrassant de la responsablité morale) et une stricte uniformité (niant que Dieu puisse agir miraculeusement dans le monde) ? N’est-ce pas à la science que nous devons des théories comme l’évolutionnisme et le big bang qui violent les Ecritures ? Deux observations s’imposent ici. Premièrement, c’est souvent la généralisation rigide des (supposées) présuppositions de la science en idées balayant le monde (comme le positivisme) qui cause des problèmes plutôt que leur utilisation restreinte au domaine de la science. Deuxièmement, même si la science produit quelquefois des théories isolées qui semblent contraires aux Ecritures, sa condamnation en bloc peut être comparée à celle de l’art culinaire sous prétexte qu’occasionnellement des gens s’intoxiquent à cause d’une nourriture mal préparée. La mauvaise cuisine ne rend pas la cuisine mauvaise. Dans les deux cas nous ferions mieux de condamner une technique défectueuse plutôt que l’ensemble.

Enfin des chrétiens voient la science essayer de découvrir des choses qui nous ont été cachées. Mais dans Proverbes 25 : 2 il est dit :  » C’est la gloire de Dieu de cacher des choses, et c’est la gloire des rois de scruter les choses.  » La gloire des rois est de scruter les choses ! Essayer de découvrir ce qui est caché dans la création n’est donc pas mal à propos.

Raisons pour se consacrer à la science

Ce n’est pas parce que quelque chose est permis qu’il y a de bonnes raisons de le faire. Y a t-il pour les chrétiens de bonnes raisons de se consacrer à la science ? La science a-t-elle quelque valeur particulière digne d’intérêt pour le chrétien ?

Beaucoup de chrétiens répondent par l’affirmative, et cette réponse est justifiée de diverses manières. Par exemple Dieu nous a confié la tâche de prendre soin de sa création (Gen. 2 : 15). Mais notre responsabilité d’intendants exige la connaissance de son fonctionnement, des soins adéquats et le meilleur usage.

La science peut être le moyen d’acquérir une telle connaissance. De plus, beaucoup de chrétiens croient que le commandement de Dieu de soumettre la terre (Genèse 1 : 28) est toujours en vigueur (d’autres croient qu’il ne s’applique plus après la chute). La soumission de la terre exige aussi la connaissance, ce qui donne encore un rôle à la science.

La plupart des chrétiens croient que Dieu nous a créés doués de connaissance. Les humains semblent toujours désirer connaître et comprendre les choses. Nous sommes des théoriciens invétérés et la science est le canal le plus normal par lequel cette capacité peut s’exprimer face à la nature.

Des raisons plus théologiques ont été avancées. Par exemple, la nature et la création de Dieu révèlent Dieu. En étudiant la nature, on s’attend non seulement à découvrir ce que Dieu a fait mais aussi ce qu’il est. Parfois, on se réfère à la nature comme à une révélation, or c’est par la science que nous apprenons à la lire.1 Certains chrétiens croient que se consacrer à la science, faire de nouvelles découvertes, explorer la complexité de la nature et apprécier les détails de la création sont des moyens de glorifier Dieu. Dieu jugea sa création bonne (Gen. 1 : 31). Ce fait à lui seul, est une incitation suffisante à la poursuite de la connaissance.

Enfin, nous avons reçu l’instruction explicite d’aider les malades, les affamés et les pauvres. Nous sommes sûrement mieux à même de le faire grâce à la connaissance des causes des maladies, du traitement adéquat, du moyen d’obtenir de meilleures récoltes et ainsi de suite. La science nous aide à accomplir ces tâches.

Bien sûr la science a aussi joué un rôle prépondérant dans la destruction à laquelle nous, humains, participons perpétuellement. De fait, historiquement, les besoins militaires ont été une motivation capitale pour divers types de recherche ainsi qu’une source importante de financement pour la science et les scientifiques. Ainsi en est-il aussi de l’avidité (dans certaines recherches scientifiques), du désir d’échapper aux conséquences de ses propres actes (par exemple certaines recherches dans les techniques de l’avortement), et d’une variété d’autres motivations peu avouables.

Ainsi, malgré la légitimité de la science, les différentes raisons de s’y consacrer et des résultats parfois valables, les chrétiens ont toujours la profonde obligation d’examiner leurs propres motivations. Ils doivent considérer les dommages possibles et les risques de rébellion contre Dieu que leurs travaux peuvent entraîner. Donc ils doivent faire entrer leurs travaux dans le cadre plus large de leur obéissance à Dieu. Hors d’un tel contexte, le travail d’un scientifique — même s’il déclare suivre le Christ — peut être désastreux à plusieurs niveaux.

Le christianisme et les fondements de la science

Plusieurs auteurs ont soutenu que la croyance en un Créateur personnel était sinon un préalable au progrès de la science moderne, du moins une aide importante. Bien que d’autres cultures se targuent d’une histoire et de traditions technologiques plus anciennes, c’est en Europe occidentale, de tradition chrétienne, que la science moderne est apparue.

Certains Grecs de l’Antiquité tendaient à voir le monde matériel comme indigne d’être étudié. Chez d’autres cultures païennes, la nature fut considérée comme une divinité qu’il était mal venu ou même dangereux de malmener (expérimentalement et empiriquement). De nombreuses cultures orientales percevaient la réalité comme obéissant à des lois rigides de la nécessité, rendant donc toute investigation empirique superflue. D’autres virent le hasard ou le chaos comme principe directeur, rendant l’investigation de la nature hors de propos et inévitablement vouée à l’échec.

Mais les chrétiens voient le monde comme une création (donc ordonnée et uniforme) par une Personne (donc rationnelle) qui l’a créé librement (donc exigeant une investigation empirique), non contrainte par nos préjugés et nos attentes (donc exigeant une recherche par un esprit). Ainsi, le caractère fondamental de la science est devenu conforme au point de vue chrétien.

Cela ne veut pas dire qu’on ne peut déduire les grandes lignes d’une méthode scientifique en dehors du christianisme, mais que ces grandes lignes concordent certainement avec la doctrine chrétienne. A côté des thèmes les plus généraux, il y a des caractéristiques plus spécifiques et des présuppositions de la science que le christianisme anticipe ou justifie.

En science on présuppose généralement qu’une réalité objective et indépendante existe en dehors de nous-mêmes. C’est cette réalité que la science étudie (contrairement à diverses formes d’idéalisme et de relativisme). C’est exactement ce à quoi on s’attendrait si la nature que la science étudie était une création. Dieu la créa indépendamment de nous, selon son plan et sans notre accord ou consentement.

Une autre présupposition-clé est celle de l’uniformité et donc du caractère prévisible de la nature et aussi du caractère repoduisible des résultats scientifiques. Or les Ecritures nous parlent de la fidélité de Dieu dans la direction du cosmos. L’uniformité est ce que nous attendrions d’une création établie par un Dieu qui est fidèle et gouvernée par ses lois. La science affame aussi que la nature est compréhensible. Normal, vu que Dieu a créé avec sagesse, et que la raison, qui nous permet de comprendre, a été créée par le même Dieu.

Les valeurs épistémologiques

Les valeurs épistémologiques ont été récemment considérées comme capitales pour les théories du rationnel scientifique. Il y a une justification chrétienne à une partie des conceptions récentes de la rationalité scientifique.

De nombreuses valeurs épistémologiques semblent être différentes facettes d’une seule intuition — la nature est un cosmos. Donc, nous nous attendons à ce que les théories qui parlent de modèles au lieu de coïncidences aient le plus de chance d’être justes. C’est le coeur même de la notion de simplicité. Nous attendons des théories qui parlent de modèles couvrant de larges domaines de la réalité, au lieu de domaines réduits, qu’elles aient plus de chance d’être proches de la vérité. C’est le moteur même de l’exigence d’une vision large. Nous nous attendons à ce que les théories qui révèlent de nouveaux modèles ou découvrent d’anciens modèles autrefois cachés et qui signalent de nouvelles (mais correctes) manifestations de précédents modèles aient plus de chance d’être sur la bonne piste que celles qui ne le peuvent pas. Ceci est une idée prometteuse.

Etant donné que le cosmos exclut le chaos originel nous insistons sur des théories conséquentes avec elles-mêmes, et puisque nous attendons des modèles qu’ils soient de portée étendue et unifiée, nous attendons des théories qui sont même approximativement vraies qu’elles se complètent les unes les autres. Le chrétien a de bonnes raisons de croire que nous vivons dans un cosmos. C’est la création de Dieu qui, selon lui, révèle son caractère. Ainsi, nous attendons-nous à des modèles et à l’unité, à l’ordre et à la régularité.

Les modèles peuvent être complexes. Nous pouvons ne pas les comprendre tous. Mais nous nous attendons à ce qu’ils soient là. Nous pourrions même trouver ici une justification pour d’autres questions epistémologiques fondamentales. Pourquoi nous fions-nous à nos sens comme le demandent les bases de l’empirisme ? Pourquoi devrions-nous penser que les autres font les mêmes expériences et tirent les mêmes conclusions que nous et que celles-ci puissent fonctionner comme des moyens de vérification objectifs et universels de notre science ? La réponse, pour le chrétien, est que Dieu nous a créés tous capables de connaître, pour ce monde, et pour connaître ce monde. Ceci ne garantit pas notre infaillibilité épistémologique, mais nous donne une certaine base épistémologique qui manque à la plupart des épistémologies sécularisées (peut-être à toutes).

Réalisme

Le christianisme sans l’imposer fournit des arguments en faveur du réalisme. Dieu nous créa avec des sens et avec la raison. Ainsi nos sens et notre raison, bien employés, sont appropriés à la réalité et y collent. Si nous les utilisons correctement nous pouvons en découvrir des vérités, même cachées, concernant la nature.2

Sans un tel lien entre nos capacités et la vérité, il serait difficile d’échapper à une certaine forme d’antiréalisme. Une évolution purement naturaliste, par exemple, ne nous fournirait pas un tel lien. L’évolution n’opte pas nécessairement pour la vérité des conceptualisations.

La survie et l’adaptation dépendent de la possession de caractéristiques et d’un comportement appropriés sans tenir compte de l’appréciation que l’on en donne. Darwin lui-même reconnaissait, et durant au moins quelque temps il s’en inquiétait, que l’évolution pourrait saper la crédibilité de l’esprit.3

Donc, on a sans doute besoin d’autre chose qu’un pur naturalisme pour justifier ce réalisme qui prédomine dans la philosophie contemporaine des sciences et qui a prédominé dans l’histoire scientifique. Dieu nous a créés pour ce monde, et capables de connaître, voilà le point de départ d’une telle justification. Cette justification fournit la possibilité de parvenir à des vérités théoriques. Notre chute pourrait partiellement expliquer pourquoi nous n’avons aucune garantie d’atteindre de telles vérités.

Attitudes et comportements

Travailler correctement en science requiert certaines attitudes. Le christianisme approuve ces attitudes.

Respect de la nature. Par exemple, le christianisme encourage le respect de la nature que toute science véritable exige.Pour le chrétien, le monde et son contenu appartiennent à Dieu et donc doivent être respectés. Nous ne devons pas en abuser. Dieu nous a accordé l’usage de la nature et nous a révélé qu’elle est sa création. Il n’est pas utile (et même il ne faut pas) aller jusqu’à l’adorer, cela mettrait un terme à la science.

Principes moraux et vertus sont indispensables à la science. Si les scientifiques manquaient d’honnêteté envers leurs collègues, d’intégrité au travail, d’humilité devant les résultats de leurs recherches, de générosité face à leurs découvertes, de contrôle de soi face à la frustration, de persévérance malgré l’échec expérimental, de patience quand les progrès sont lents, etc., ils seraient peu efficaces. Les Ecritures prônent ces vertus, aident à les acquérir et les fondent sur la loi de Dieu.

Gardons à l’esprit que l’objectivité en science est protégée en partie par l’aspect communautaire de la science. Cette protection est nécessaire, pourquoi ? Quelques-unes de ces vertus ne sont pas toujours honorées et la communauté scientifique a besoin de se protéger contre ces violations. Mais ces échecs ne devraient pas surprendre le chrétien familier avec la vision lucide des Ecritures sur notre état et nos tendances.

Perspective. Ainsi le christianisme peut justifier plusieurs aspects de la science, de ses méthodes et présupposés. Mais en plus, il place la science dans une perspective correcte : elle a de la valeur mais n’est pas la valeur suprême, elle est compétente mais pas en tout, elle fait partie de la vie humaine mais n’en est pas le tout, elle est une activité humaine mais pas notre vocation première, elle donne des solutions à certains problèmes mais pas à notre problème numéro un, notre aliénation par rapport au Créateur.

La perte de cette perspective crée une distorsion et un refus des réalités simples de la vie. En fin de compte elle déforme la Vie.

Del Ratsch (Docteur en philosophie de l’Université du Massachusetts) enseigne la philosophie au collège Calvin, Michigan, U.S.A. Cet article est tiré de son livre, Philosophy of Science : The Natural Sciences in Christian Perspective, (Downers Grove, l’Illinois, InterVarsity Press, 1986).

Citation recommandée

RATZSCH Del, « Christianisme et science : Sont-ils compatibles ? », Dialogue 1 (1989/1), p. 14-15, 31-32


NOTES ET RÉFÉRENCES

  1. Voir par exemple Bernard Ramm, The Christian View of Science and Scripture (Londres : Paternoster Press, 1955), p. 25.
  2. Certains points de cette section ont été suggérés par des remarques du professeur Alvin Plantinga.
  3.  » En découvrant le secret de l’humble origine de l’homme, Darwin a perdu confiance dans le pouvoir de la raison et de l’intuition humaine à pénétrer l’énigme de l’univers. Il avait, confessa-t-il, une  » conviction intérieure  » que l’univers n’était pas le résultat d’un simple hasard. « Mais alors, ajouta-t-il, j’aurais toujours un doute affreux sur la valeur et la fiabilité des convictions de l’esprit humain qui s’est développé à partir d’un esprit animal inférieur. Aurait-on confiance dans les convictions d’un singe s’il y en a dans un tel esprit ? » (John C. Greene, The Death of Adam, [Ames : Iowa State University Press, 1959], p. 336). Ces citations proviennent d’une lettre de Darwin à William Graham de Down, le 3 juillet 1881, tirée de Francis Darwin, ed., The Life and Letters of Charles Darwin Including an Autobiographical Chapter, (New York : n.p. 1898), 1 : 285.
  4. Citation du professeur Nicholas Wolterstorff.