Représentation imaginaire des tourments de l'Enfer par Dante

Méditations spirituelles 19/06/2023

Par Florin Bică | Signs of Times

À l’âge de neuf ans, le jeune Dante Alighieri tombe éperdument amoureux de Beatrice Portinari, une jeune femme du même âge, dont l’image le hantera toute sa vie et lui inspirera l’un des personnages féminins les plus célèbres de la littérature universelle.

En 1321, l’année de sa mort, Alighieri a achevé son chef-d’œuvre, le poème narratif La Divine Comédie. Né à Florence en 1265, dans une famille noble mais pauvre, Dante a été contraint de préférer la généreuse dot de la famille Donati à son amour pour Béatrice.

Il étudie à l’université de Bologne, l’un des établissements d’enseignement les plus prestigieux du monde médiéval. À partir de 1295, il s’engage dans la politique et est élu au conseil municipal de Florence. Impliqué dans le conflit entre les Guelfes et les Gibelins, Dante se range du côté des Guelfes et prône la séparation de l’Église et de l’État, c’est-à-dire la non-implication du pape dans les affaires non religieuses.

Ses choix politiques et ses positions sur l’implication des pontifes dans la vie et les décisions politiques le rendent impopulaire. Ainsi, en 1302, il est jugé à Florence pour baratterie, c’est-à-dire fraude et enrichissement illicite, ainsi que pour conspiration contre le siège pontifical.

Condamné à payer une énorme amende de 5 000 florins, Dante, qui n’était pas à Florence à l’époque, s’est soustrait au paiement, de sorte que quelques semaines plus tard, sa peine a été commuée en mort sur le bûcher et en confiscation de ses biens. Dante ne revint jamais à Florence et échappa ainsi au bûcher, mais il vécut sa vie en exil, pauvre et dépendant financièrement du soutien de nobles bienveillants.

Merveilleuse comédie

Le thème central de la Comédie de Dante part d’une des questions fondamentales que se posent non seulement les chrétiens, mais aussi tout être intelligent : que se passe-t-il après la mort ? Intitulée à l’origine Comédie et considérée comme l’un des monuments littéraires du Moyen Âge, l’œuvre de Dante a ensuite été qualifiée de « divina » par le prosateur Giovanni Boccaccio.

« Les vers de Dante ont une grande vivacité, le terrible pathos de Savonarole ou de Luther, et de nombreux érudits ont essayé de voir dans l’œuvre du Florentin non pas le poète du christianisme catholique, mais un précurseur de la Réforme » (Alexandru Balaci).

Les trois parties de la Comédie décrivent les voyages du poète dans les royaumes catholiques de l’au-delà (Enfer, Purgatoire, Paradis). Catholique sincère mais antipapal, Dante n’a pas hésité à jeter de nombreux papes et cardinaux de son époque dans les flammes de l’Enfer imaginaire. Un seul pape a été inclus dans le Paradis de Dante, à savoir Jean XXI.

La Divine Comédie devient ainsi un instrument avec lequel le poète, condamné à mort, dénonce l’hypocrisie et les vices du clergé. Selon l’un des biographes d’Alighieri, « les attaques véhémentes de Dante vont donner naissance à une littérature anticléricale qui se développera en Italie, à partir de la Divine Comédie et jusqu’à la littérature contemporaine, en passant par le Décaméron de Giovanni Boccaccio »[1]. »Poète talentueux et critique sévère des abus de l’Église, Dante ne possédait cependant pas les vertus d’un chrétien, car, comme le note le même biographe, c’était un homme orgueilleux, avide de vengeance, cruel (du moins dans ses écrits), admirateur des païens et de leur poésie, et donc très éloigné de l’humilité chrétienne et du concept d’amour de ses ennemis.

L’Enfer de Dante

Dans sa Comédie, Dante a recueilli les conceptions populaires de l’au-delà. Son univers est construit sur des traditions et des mythes anciens, des légendes et des superstitions païennes, mélangés à des éléments chrétiens. Non seulement l’Enfer, mais aussi le Purgatoire « ont bénéficié d’une chance extraordinaire : le génie poétique de Dante Alighieri […] leur a taillé une place durable dans la mémoire humaine »[2]- bien que la doctrine du Purgatoire ne trouve pas son origine dans la Bible.

Les idées bibliques sont si nombreuses dans la Divine Comédie[3 ] que certains commentateurs notent que l’Ancien et le Nouveau Testament « imprègnent tellement son langage [celui du poète] qu’ils ne font presque plus qu’un avec lui »[4] Pourtant, l’image de l’enfer qui a émergé de la plume inspirée de Dante était très éloignée de ce que la Bible dit de la mort et de l’enfer, et l’auteur lui-même n’a jamais eu l’intention de faire de sa littérature une doctrine. Néanmoins, écrit le théologien Eldon Woodcock, « la représentation de Dante est devenue le portrait standard de l’enfer pour les auteurs populaires des siècles suivants »[5] Woodcock note également que même les prédicateurs chrétiens ultérieurs, inconscients de la nature fictive de la Comédie, se sont inspirés de son imagerie pour effrayer leurs auditoires.

Ironiquement, avec les Lumières et le rationalisme, la foi chrétienne et son Dieu seront de plus en plus dénigrés ou rejetés en raison des exagérations et des images grotesques inspirées par la Comédie de Dante.


Notes :

[1] »Alexandru Balaci, « Dante Alighieri, Bucharest », Editura Tineretului, 1966, p. 184″.
[2] »Jacques Le Goff, « La naissance du purgatoire », Scolar Press, 1990, p. 334″.
[3] »L’ouvrage contient 575 citations de la Bible ».
[4] »Peter S. Hawkins, ‘Dante and the Bible’ in ‘The Cambridge Companion to Dante’ (Rachel Jacoff, ed.), Cambridge University Press, 1993, p. 125. »
[5] »Eldon Woodcock, ‘Images of Hell in the Tours of Hell : Are They True ? », dans « CTR », automne 2005, p. 24.