Dans son Discours de la méthode, Descartes invitait l’homme moderne à devenir « comme maître et possesseur de la nature », en entendant par nature tout ce qui a pour unique substance l’étendue, c’est-à-dire l’ensemble des éléments matériels physiques que la géométrie permet de situer et de modéliser dans l’espace, et en particulier, parmi ceux-ci, le corps humain. La réalisation de ce projet ambitieux était censée s’effectuer par une sorte de collaboration entre le logos scientifique et la technique, en faisant de la technologie biologique une manipulation artificielle de la nature, qui envisage de transformer non seulement le monde extérieur, mais aussi et surtout l’homme lui-même –par une série d’interventions sur sa constitution biologique.
De nos jours, ce programme de transformation bio technologique des êtres humains en des êtres d’un autre ordre, des « posthumains », prétend tirer sa légitimité de l’idée d’une possible amélioration fondamentale de la condition humaine ; pour le motif que celle-ci nous expose aux infirmités, à la maladie, au vieillissement et à la mort. Dans cette perspective, la science devrait désormais conduire à un dépassement de la condition humaine, au moyen des avancées technologiques, en ouvrant la voie à un renforcement des capacités déjà existantes en l’homme, et vers l’apparition de facultés nouvelles. Ainsi, l’état actuel de l’humanité serait un état transitoire, qu’il faudrait surpasser ou trans-cender : d’où le nouveau vocable savant de « transhumanisme ».
Cependant, si la vulnérabilité de la condition humaine est une donnée indéniable, les « solutions » que propose le mouvement transhumaniste semblent souvent sans proportion avec les maux qu’il prétend guérir. En effet, les propositions innovantes et les techniques nouvelles propres à servir la cause transhumaniste semblent produire des résultats peu satisfaisants, au regard des dégâts qu’elles occasionnent ; et ce d’autant plus que certains effets néfastes de ces bouleversements revêtent un caractère irréversible. Pour atteindre cet être parfait ou, pour reprendre une expression célèbre de Raymond Kurzweil, cet « Homme augmenté », le transhumanisme met à contribution les découvertes faites dans la médecine procréative, la médecine prédictive et dans la médecine dégénérative. Citons d’abord l’exemple de médecine procréative. Elle propose une aide aux couples infertiles à travers les techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP). Les pratiques médicales telles que l’insémination artificielle, avec « un tiers donneur » ou par fécondation in vitro et transfert d’embryon (FIVETE) tendent à remettre en cause la conception biblique chrétienne selon laquelle l’être humain est une créature divine. Tout porte à croire que l’homme n’est pas une création de Dieu, il est pour ainsi dire une invention du laboratoire médicale, à l’instar des robots ou des êtres Androïdes mis à notre disposition par les technosciences. Ensuite, en ce qui concerne la médecine prédictive, les manipulations artificielles du génome avant la naissance du bébé, lorsqu’il est encore au stade d’un embryon, présentent des avantages, mais surtout des inconvénients. L’optimisme transhumaniste trouve la légitimité de cette pratique médicale dans la prévention de certaines maladies monogéniques incurables que l’on peut déceler très tôt par l’analyse et le séquençage de l’ADN d’un embryon, obtenu par exemple par fécondation in vitro. Enfin, la manipulation artificielle du génome à donner lieu à la constitution du « bébé à la carte » dans la mesure où les parents peuvent désormais décider avant la naissance de l’enfant des qualités et de ces traits physiques : la couleur des yeux, des cheveux, des sourcils, etc. On s’aperçoit à nouveau que l’homme tend à s’asseoir sur le fauteuil de Dieu, comme si l’évolution de la science avait pour conséquence immédiate l’expulsion du divin dans l’ordre de la création et l’amoindrissement de la foi en Dieu. La question est alors la suivante : quelle place assignée à Dieu dans un monde où l’homme devient son propre créateur ?
Au regard de l’enthousiasme sans borne que suscite l’idéologie transhumaniste, il devient nécessaire de signaler l’erreur fondamentale sur laquelle repose ce mouvement : l’homme n’est que matière. En pensant l’homme uniquement comme un agrégat d’atomes, on envisage de le façonner ou de le « fabriquer » par la manipulation du génome. On pense inverser le processus de vieillissement et éradiquer la mort, à partir d’un programme de recherche en médecine fondamentale sur les propriétés des cellules-souches. Pourtant, si l’on s’en tient au texte biblique de la création de l’homme, il est clairement énoncé que l’homme devint un être vivant après que Dieu eut soufflé dans ses narines (Gn. 2 : 7). Autrement dit, au-delà de la dimension physico-matérielle, il existe en l’homme une part du divin caractérisée ici par ce souffle vital. Or, « Dieu est Esprit » (Jn. 4 :24), c’est-à-dire une substance qui est avant tout immatérielle – même si son omnipotence ne peut l’empêcher de revêtir momentanément une forme physique quelconque. Sur cette base, la réduction de l’homme à un amas d’éléments chimiques apparaît comme une simplification qui ne tient pas suffisamment compte de la complexité de la nature humaine. Rien d’étonnant à ce que le projet transhumaniste consistant à tuer la mort par les modifications du génome soit d’emblée voué à l’échec : la mort n’est rien d’autre que la séparation d’avec Dieu. Plus exactement, elle est la conséquence de la déconnexion entre le corps physique et le souffle vital divin. Il résulte de cette analyse que la vie est un don de Dieu. C’est la raison pour laquelle, au-delà des promesses exorbitantes du transhumanisme, tous les chercheurs sont conscients qu’aucune cellule vivante du laboratoire injectée à un cadavre n’a le pouvoir de lui redonner la vie. Seul Dieu le peut et le fera à la résurrection. Seul Dieu le peut et le fera à la résurrection.
Dieu-Donné LIMIKOU
Docteur en Philosophie et en Etudes psychanalytiques