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(Texte de la Commission d’éthique de l’UFB de mars 2006)
Depuis quelques années, les premiers « bébés-médicaments » sont nés dans le but de sauver la vie de l’un de leurs frères et sœurs atteint d’une maladie génétique incurable et mortelle. Ces bébés ont été obtenus grâce au progrès du diagnostic préimplantatoire (DPI) jusque-là réservé aux familles risquant, avec une forte probabilité, de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique très grave. Une fécondation in vitro est la première étape à franchir. C’est alors que le diagnostic préimplantatoire intervient : les embryons obtenus subissent une première sélection, afin d’écarter ceux qui seraient porteurs de la maladie ; parmi ces embryons sains, on repère ensuite ceux qui sont immunologiquement compatibles avec leur aîné malade (compatibilité tissulaire ou HLA). On procède alors à l’implantation d’un à trois embryons choisis dans l’utérus de la mère. Après la naissance, on effectuera, sur l’enfant malade, la greffe de cellules compatibles du sang du cordon ombilical.
Si l’on peut comprendre l’espoir que représente ce processus pour des parents plongés dans la détresse à l’annonce de la maladie mortelle de leur enfant, il est nécessaire que ces parents soient informés des nombreux problèmes qui les attendent avant qu’ils choisissent d’aller de l’avant.
Problèmes pour le couple
Ces problèmes sont les mêmes que ceux que doivent affronter les parents qui, pour avoir un enfant, doivent avoir recours à la fécondation in vitro et à un transfert d’embryon. Il s’agit d’un processus lourd, avec un risque d’échec relativement important (80 %).
A ces problèmes s’ajoutent ceux inhérents à leur situation particulière. Il y a en effet un risque supplémentaire d’échec dû aux deux tests subis par les embryons pour les sélectionner. Les parents peuvent se trouver face à un nouveau dilemme lorsque les tests révèlent la présence d’embryons sains non compatibles ou l’absence totale d’embryons compatibles: accepter l’implantation de l’embryon non compatible qui ne résoudra pas le problème de l’aîné malade et devoir attendre neuf mois de plus, ou refuser l’implantation d’embryons pourtant réputés sains. Accepte-t-on un bébé sain, ou accepte-t-on seulement un « bébé-médicament » ? On retombe là dans le problème déjà connu de l’emploi des embryons surnuméraires. On imagine aussi l’anxiété des parents engendrée par l’urgence d’un succès (on estime aujourd’hui que la réussite du processus nécessite au moins un an et demi à deux ans). Enfin, les parents doivent garder à l’esprit que le traitement de l’enfant malade par les cellules placentaires du « bébé-médicament » peut échouer.
Problèmes pour l’enfant à naître
Il n’est pas sûr que le « bébé-médicament » sera un enfant comme les autres. Est-il réellement désiré pour lui-même ou n’est-il que l’instrument de la guérison de son aîné ? Certes, son statut sera potentiellement valorisant, mais il ne l’aura pas choisi. On est en droit de soulever la question de la chosification du « bébé-médicament », plus particulièrement si le sang du cordon ombilical s’avère insuffisant pour la guérison de l’aîné. Ce bébé deviendra alors un fournisseur de moelle osseuse, au mieux par un seul don, et au pire par des dons tout au long de sa vie. On peut imaginer aussi que cet enfant de l’espoir peut devenir une source d’organes compatibles en cas de besoin de son aîné. Pourrait-il refuser un tel don ? Le terme plus positif de « bébé-docteur », employé par certains spécialistes, ne peut effacer les risques psychologiques encourus par cet enfant. Les relations avec ses parents, avec celui de sa fratrie qui lui doit la vie et aussi avec les autres qui n’ont pas eu la possibilité d’avoir son rôle, ne sont-elles pas faussées dès le départ, même si la famille l’apprécie comme un enfant ordinaire ?
Problèmes pour la société
L’obtention d’embryons compatibles est une prouesse technique qui demande la mobilisation de laboratoires sophistiqués et de personnels très expérimentés. Il ne faut donc pas négliger le coût exorbitant de ce processus, qui nous rappelle que la demande légitime de parents dans le désarroi reste tout de même un luxe.
La réussite de cette pratique dans quelques rares cas pousse certains parents à faire des demandes pour des maladies non mortelles mais très invalidantes de l’un de leurs enfants. Quelle sera alors la limite de l’admissible ?
On ne peut s’empêcher aussi de penser à la dérive eugénique lorsque certains expriment leur désir d’utiliser cette méthode pour avoir un contrôle sur les caractéristiques génétiques de leurs descendants.
Les méthodes alternatives
Les recherches sur les greffes de sang de cordons provenant de bébés non apparentés progressent. La thérapie génique est aussi actuellement en cours d’expérimentation. Si ces méthodes devenaient efficaces, elles auraient le mérite d’éviter la majorité des problèmes mentionnés plus haut et seraient éthiquement plus acceptables. Cependant, elles ne sont pas encore maîtrisées.
Conclusions
Il n’y a pas à l’heure actuelle suffisamment de recul pour juger de l’efficacité de l’utilisation des cellules placentaires et des risques encourus, ce qui devrait inciter à la plus grande prudence.
Si, malgré tout, un couple devait décider, en connaissance de cause, d’avoir recours à la naissance d’un « bébé-médicament », c’est qu’il estime impératif de tout tenter pour sauver son enfant gravement malade. L’Église ne peut que s’incliner devant cette décision difficile et apporter un soutien moral à cette famille éprouvée. Cependant, ce couple devrait toujours avoir à l’esprit le bien-être et l’avenir du « bébé-médicament ».
En conséquence, cette lourde procédure ne se justifierait que dans le cas où la maladie de l’autre enfant est incurable et entraîne une mort prématurée, et où le pronostic vital de cet enfant peut être sérieusement amélioré.
D’autre part, il ne paraîtrait pas acceptable que le traitement de la maladie de l’un impose une atteinte à l’intégrité du corps de l’autre, devenu par sa naissance programmée le pourvoyeur tout désigné d`organes en cas de nécessité.
Enfin, toute utilisation d’un diagnostic préimplantatoire autre que celle qui permet de détecter ou de traiter une maladie grave devrait être rejetée.
Rappelons un principe de sagesse : le possible n’est pas toujours souhaitable. Il faut donc rester vigilant pour ne pas céder à la tentation de s’engouffrer dans ce domaine du possible, dont l’étendue ne cesse de croître avec les progrès de la biologie, sans au préalable entamer une sérieuse réflexion éthique sur le but recherché.
Il convient enfin d’aborder ce genre de questions éthiques avec beaucoup d’humilité et de respect profond pour chacune des personnes impliquées.
Commission d’éthique de l’UFB, mars 2006