David J. B. Trim | Adventist World Janvier 2021
En 1899, les premiers missionnaires de l’Église adventiste débarquèrent en Égypte. Leurs efforts, hélas, ne furent pas couronnés de succès. À l’automne 1908, on ne comptait que 10 adventistes en Égypte : trois d’entre eux étaient des missionnaires, et les sept autres, les seuls Égyptiens gagnés en près de dix ans. En septembre 1908, George et Mary-Ann Keough – deux nouveaux missionnaires – vinrent en Égypte.
DES MISSIONNAIRES BIEN TREMPÉS
George Keough naquit en Écosse et grandit en Irlande du Nord. Mary-Ann, elle, était originaire du Yorkshire. Ces deux régions ont la réputation de produire des personnes à la volonté bien trempée. Dans leur mission, il leur faudrait, effectivement, être persévérants et avoir confiance en soi-même.
George constata rapidement (comme il le rappela plus tard) que l’œuvre missionnaire adventiste en Égypte « était réservée aux expatriés, lesquels n’avaient aucune influence sur la population locale ». Dès son arrivée, on lui dit qu’il était inutile d’apprendre l’arabe, et qu’il était impossible de gagner la population.
Mais George fit exactement le contraire ! Il apprit l’arabe qu’il finit par parler et écrire couramment. Il apprit aussi la forme d’arabe parlée par les fellahs – des paysans formant 90 pour cent de la population égyptienne.
Désirant ardemment trouver un moyen d’établir des relations avec eux, les Keough quittèrent le Caire en 1911 et s’installèrent à Assiout – une ville importante de Haute-Égypte sur la rive occidentale, à 400 kilomètres en amont du Nil. Ce fut un grand pas pour la famille (George et Mary- Ann étaient parents d’un fils depuis 1909). Très peu d’Européens vivaient à Assiout. Et comme il n’y avait pratiquement pas de sites archéologiques, les Européens ne visitaient que rarement la région. Par conséquent, les Keough étaient exceptionnellement isolés.
Le prosélytisme auprès des musulmans étant illégal en Égypte, les possibilités d’évangélisation étaient fort limitées. Par ailleurs, il était difficile de témoigner auprès des chrétiens coptes de souche en raison de leurs sociétés très fermées. En 1912, cependant, Dieu intervint. Yacoub Bishai Yacoub, un chrétien et un personnage important du village de Beni Adi, entra en contact avec George.
Convaincu du quatrième commandement, Yacoub et sa famille avaient commencé à observer le sabbat du septième jour. Ayant entendu parler d’un Européen qui observait lui aussi le sabbat, il écrivit à George et lui demanda de lui rendre visite. Bientôt, George baptisa Yacoub et son fils. C’est ainsi qu’à Ben Adi, George put compter sur un patriarche ayant autorité sur sa parenté et un statut certain dans l’ensemble de la communauté. Entre novembre 1912 et mai 1913, il baptisa 18 hommes et sept femmes, faisant passer l’effectif adventiste en Égypte à plus du double.
Par la suite, George utilisa les réseaux de parenté de ceux qu’il avait baptisés et commença à travailler autour de Beni Adi. En 1917, 16 autres personnes furent baptisées. George organisa des églises dans les villages de Beni Adi, Beni Shaaran, Masarah et Tatalya, ainsi que dans la ville d’Assiout.
Dans la plupart des régions du monde, ces chiffres peuvent sembler insignifiants. Mais au Moyen-Orient de l’époque, ils étaient sans précédent, et ont été rarement égalés depuis. Comment expliquer un tel résultat ?
LE MINISTÈRE DE JÉSUS REPRODUIT
George Keough organisa son ministère d’après celui de Jésus en faveur d’une population qui était, il le savait, profondément méfiante à l’égard de ses enseignements. Sa capacité extraordinaire de se lier d’amitié avec les gens lui venait en partie de ce que pour lui, l’amitié n’était pas une tactique. Les gens sentaient que son amitié pour eux était sincère.
Des décennies plus tard, alors qu’il enseignait à l’Institut d’enseignement supérieur Newbold dans les années 1970 et 1980, George entra en contact avec des étudiants dans la vingtaine, alors que les profs plus jeunes n’y arrivaient pas. Les adventistes de Beni Adi racontent encore aujourd’hui des histoires transmises il y a 100 ans sur la façon dont cet Européen a fait ce que les Occiden- taux, eux, n’ont jamais accompli : il entrait dans les maisons en brique de terre crue, s’asseyait sur le sol en terre battue, leur parlait dans leur propre langue et mangeait leur nourriture.
Dans la culture moyen-orientale, il est impardonnable de ne pas exercer l’hospitalité. Comme bien des hôtes de George Keough étaient pauvres, ils lui offraient des mets peu appétis- sants. Prenons le mish, par exemple.
Il s’agit d’un fromage égyptien que l’on produit en faisant fermenter du fromage salé pendant des mois, des années même. On obtient un fromage à saveur très forte. Ce fromage a la réputation, du moins autour d’Assiout, d’être infesté d’asticots. Les membres d’une famille de Tatalya racontent encore que George Keough mangeait du mish avec leurs grands-parents et arrière-grands-parents, sans se soucier le moins du monde des vers grouillants et bien visibles !
En mangeant tout ce que ses hôtes lui servaient, George honorait leur hospitalité. En s’asseyant avec eux plutôt que de se tenir à l’écart, il gagna leur affection. Il déménagea dans le village de Beni Adi avec sa femme, leur fils, leur fille encore petite, et y construisit sa propre maison. Comme il y avait beaucoup de bandits dans la région, le chef de police d’Assiout avertit George que la protection des quatre membres de sa famille était loin d’être garantie. Heureusement, les villageois les protégèrent parce que pour eux, les Keough faisaient partie de la communauté.
S’ADAPTER AU CONTEXTE
George Keough ne parlait pas seulement aux gens dans leur propre langue ; il la parlait et l’écrivait si bien qu’il réussit à contextualiser à la fois les histoires de la Bible et les croyances adventistes de manière à les rendre compréhensibles et conformes à l’original. Il rendit le christianisme adventiste authentique pour le contexte égyptien.
Les convertis ne devenaient pas complètement étrangers à leur culture ; ils continuaient à vivre selon elle. Ainsi, personne ne les chassa de leurs villages. Du coup, ils furent mieux équipés pour témoigner auprès des membres de leurs communautés.
Par conséquent, la Haute-Égypte a toujours été la région où l’Église adventiste est la plus solide en Égypte. Les églises que j’ai mentionnées plus haut existent toujours ; j’ai eu le privilège de les visiter en 2012. Grâce à leur ministère, George et Mary-Ann Keough ont établi des églises durables.
LA PUISSANCE DU VRAI CHRISTIANISME
J’ai entendu l’histoire du mish en 2012, quand un ancien de l’église de Beni Adi m’a également raconté ce que son oncle lui a dit : « Par George, les gens ont vu le vrai christianisme, et pas seulement des revendications sur le christianisme. » En 1943, George écrivit qu’il espérait que « la bonne nouvelle d’un puissant sauveur devant revenir bientôt sur terre [fasse] une percée certaine [au] Moyen-Orient et en Afrique du Nord ».
L’Église adventiste ne connaît encore qu’un succès mitigé dans une grande partie de cette région. Une « percée certaine » nécessitera sûrement davantage que l’enseignement du christianisme adventiste. La puissance du christianisme authentique devra se manifester dans la vie de ceux qui œuvrent à la proclamation du message des trois anges.
David J. B. Trim est directeur du Bureau des archives, des statistiques, et de la recherche au siège de l’Église adventiste mondiale à Silver Spring, au Maryland (États-Unis).