« Vous êtes la lumière du monde. » Matt 4 : 14
Jésus déclarait à ses disciples qu’ils étaient la lumière du monde. C’est une image que tous comprennent car la nuit, l’obscurité, nous connaissons tous. Mais il arrive que certaines images parlent davantage quand nous sommes confrontés à certaines réalités.
Je me suis encore une fois retrouvé sur la ligne de départ le 30 novembre 2019 à 23h30 pour la mythique course de la Sainté Lyon (66e édition avec 76 km à parcourir pour un dénivelé positif de 2100m et négatif de 2450m). Parmi les équipements obligatoires, il fallait, entre autres choses, une frontale et une pile de rechange. J’avais la mienne et cette année, je me suis procuré une deuxième. Je les ai attachés ensembles et celle qui se branchait à une batterie rechargeable et qui donnait le plus de lumière a été la première à être utilisée.
Au début, il y a la lumière des lampadaires car le départ se fait en ville (parc des expositions de St Etienne) et pendant quelques petits kilomètres on y voit bien. Ma lampe était donc éteinte. Je profitais des lumières des lampadaires pour avancer. Ainsi, parfois nous pouvons profiter de la spiritualité des autres, profiter de leurs expériences. Ils nous parlent de leur vécu avec Dieu, nous partagent des méditations, des prédications et tant que nous sommes sur une route sans obstacle, tout va bien. On avance sans trop de difficultés. On avance si bien qu’il nous arrive de dépasser d’autres coureurs tout en évitant de piétiner ceux qui avance plus lentement. Et oui, c’est le départ, ça se bouscule (5000 coureurs lâchés par vagues de 1500 toutes les 5 minutes, ça en fait du monde).
Puis nous quittons le bitume et ses lampadaires pour les chemins en terre. C’est plus étroit (3 m maximum) et là, il fait un peu plus sombre mais il n’y a pas vraiment d’obstacle et je vois encore très bien car cette fois tous les autres coureurs (99,7 %) ont leurs lampes allumées. Je me dis alors, que je vois assez bien et que je vais encore économiser mes batteries. J’avance avec prudence, et cette situation va durer au moins une bonne heure. Et oui, ça arrive que la lampe des autres nous aident à voir le chemin. On apprend à connaitre aussi Dieu parce qu’en disent les autres et par les versets et expériences qu’ils partagent avec nous.
Mais le chemin se resserre et je me retrouve en file indienne. On ne peut plus courir côte à côte et je piétine derrière les autres car il y a, à ce stade de la course, beaucoup de monde ensemble. Si je veux éviter de me tordre une cheville, il faut que j’allume ma propre lampe et vite la caler pour qu’elle éclaire juste devant afin de voir où je pose les pieds. Il y avait au moins 3000 personnes devant. Ils avaient déjà bien piétiné le sentier et causé des flaques de boue assez importantes. Ainsi, les témoignages et le vécu des autres est à ce stade de mon expérience avec Dieu très peu utile. Je dois arriver à me débrouiller seul et avancer avec la lumière que j’ai moi-même apporté. Cette lumière que je puise dans les pages de la parole de Dieu et dans les écrits de femmes et d’hommes inspirés. Quand je passe par des moments de solitude spirituelle, quand j’ai l’impression que Dieu m’a laissé tomber. C’est là que la lumière de la Parole me dit : « je ne t’abandonnerai point » (Josué 1 : 5). Ce n’est plus « on m’a dit que, » mais « je sais que ». Avoir ma propre lampe m’évite de marcher sur un caillou, une racine mise à nue ou un trou laissé par les cailloux que les autres ont déplacé dans leur course. Je suis encore au tout début de la course (à peine 10 km) et il vaut mieux avoir les chevilles en forme pour aller le plus loin possible, voir jusqu’à l’arrivée.
Je traverse des villages avec des lampadaires. J’arrive à des points de ravitaillement avec de la lumière, des boissons chaudes ou froides, de la soupe, du pain, du chocolat, des fruits secs, des tubes de glucose en gel et bien d’autres choses encore. Là j’éteins ma lampe. J’économise mes batteries et je refais le plein d’énergie. Je ne reste pas trop longtemps car je risque de prendre froid. Il pleut et j’ai le t-shirt mouillé malgré mon imperméable, (plus un coupe-vent qu’un vrai « k-way ») . Tant qu’il est chaud ça va mais si le froid me gagne, c’est un rhume assuré. Ainsi, nous ne pouvons pas nous appuyer trop longtemps sur ce qui nous est offert. Nous ne pouvons pas nous contenter de regarder, de profiter sans fin de ce que produisent les autres. On finit par se refroidir. Dieu cherche des disciples, bien plus que des membres d’église. Je rallume alors ma lampe et je reprends ma course. Course qui me permet de rester au chaud, de garder la foi car elle est maintenant éprouvée par ma propre expérience.
Lors de cette course ma lampe, (la première) s’est éteinte alors que je courrais. Plus de batterie. J’ai continué à courir car je ne m’en suis pas rendu compte. Les compagnons de courses étaient tout autour et ma lumière se fondait avec la leur. Mais je me suis retrouvé un court instant tout seul et c’est là que je me suis rendu compte que je n’y vois plus aussi bien le sentier. Je m’arrête pour changer de lampe et charger les nouvelles batteries. Un calvaire, car mes doigts sont gelés. Je n’arrive pas à prendre les petites piles AAA dans la petite poche de mon petit sac à dos. Je ne veux pas enlever les gants car ils sont trempés et les remettre c’est difficile.
Je passe bien 10 minutes à essayer. J’ai eu envie de laisser tomber car je me refroidissais et commençais à trembler mais comment avancer sans lumière ? J’y parviens enfin. La lumière est de retour. Ainsi, dans la course du chrétien, il arrive qu’on se croie éclairé jusqu’à ce qu’on se retrouve face à une épreuve. Soit on abandonne, soit on se donne les moyens de rallumer la flamme. Il faut avoir des réserves et surtout savoir où elles sont. Je savais dans quelle poche j’avais mes piles et même dans le noir je pouvais les atteindre. Chaque recoin de mon sac était connu. Chaque poche avait son utilité (ravitaillement, vêtement de rechange au sec dans un sac de congélation zippé, couverture de survie, téléphone enveloppé de film plastique et chargeur portable…) Quand on se lance dans une telle course, on s’équipe. On se donne les moyens d’arriver au bout.
Il pleuvait (il a plu de 0h30 à 7h00 environ) doucement et par certains endroits il y avait du brouillard, ce qui rendait la visibilité un peu difficile. Afin de pouvoir voir clair, il fallait éteindre sa propre lampe car on s’auto-éblouissait. Mais on éteignait juste quelques secondes pour assurer les assises dans les passages techniques en utilisant l’éclairage des autres. Sinon il faut ralentir et prendre le temps de voir où on va.
Ainsi, il faut savoir questionner ce que me dit la parole. Ai-je bien compris ? Suis-je assez humble pour questionner ma compréhension et la comparer à celle des autres ? Mais un questionnement assez court pour éviter au doute de s’installer. Il faut parfois se poser, ralentir sa course afin de s’enraciner dans la parole. Une retraite spirituelle, une promenade, seul avec Dieu dans la foret…
Et puis arrive la fatigue. J’ai essayé d’économiser mes forces en marchant dans les montées, mais 76 km c’est long. Et avec une allure moyenne de 6,39 km/h la fatigue a le temps de s’installer. C’est pourquoi l’entrainement est essentiel avant, afin de repousser toujours plus les limites de son propre corps. Même quand on connait le parcours il faut « prévoir » l’imprévu. Ainsi, comme dans la parabole de Matt 25 : 1-15, avoir des batteries de rechange, c’est s’assurer d’arriver au bout et d’être reçu.
Le jour se lève enfin et j’y voit plus clair. La lampe devient inutile et j’avance avec plus d’assurance. Je peux regarder le paysage et voir au loin. Mais mes jambes n’en peuvent plus. Chaque pas est un effort. Je marchais dans les montées, maintenant je marche aussi dans les descentes car les chocs ne sont plus absorbés par mes articulations. De plus, avec la pluie mes chaussures sont trempées et pleine de boue et de petits cailloux qui me font mal. Mais j’avance car je veux franchir la ligne d’arrivée. La lumière finale nous permettra de connaître vraiment. Oui, « quand Christ paraîtra nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jean 3 : 2) Même si c’est difficile de croire quand tout le monde nous invite au contraire, il faut garder cette conviction, cette foi, ce mental qui nous pousse à avancer car nous savons ce qui nous attend.
Après le dernier ravitaillement, je m’élance avec douleur mais plein d’espoir vers l’arrivée. Je peine mais je sais que la joie sera là, que je pourrai me reposer et dire « j’y suis arrivé ». Je rencontre des compagnons de douleur qui eux aussi marchent dans les descendes voir même sur le plat. Moi je veux en finir donc je cours un peu et je marche un peu. Ainsi, savoir que d’autres traversent aussi des épreuves, prier avec eux, s’encourager mutuellement permet de garder la foi en Dieu. C’est ça l’église !
Et enfin, après 11h59 05 d’effort, je franchi la ligne d’arrivée. Je suis « finisher ». Je peux réclamer mon T-shirt et mes 3 points. Avec Paul je voudrais m’écrier un jour, « j’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, désormais la couronne de justice m’est réservé. »
Gardons nos lampes allumées, nous ne savons pas qui en profite à part nous.
Thierry MATHIEU, Pasteur à la Fédération France Sud.