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(Texte du 23 novembre 2005 de la Commission d’éthique de l’UFB)
Le piercing, les tatouages, voire les scarifications et les implants de corps étrangers, connaissent actuellement dans nos pays, un développement sans précédent. Que penser de ces pratiques au regard de la foi et de l’engagement chrétiens ?
BREF HISTORIQUE
Ces pratiques sont ancestrales et universelles. On retrouve, par exemple, des piercings de la langue chez les Aztèques et les Mayas, du nombril dans l’Égypte ancienne, signes d’appartenance à un haut lignage. Les légionnaires de la Rome antique préféraient l’anneau fixé au mamelon, symbole de virilité et de courage. En revanche, les piercings génitaux contraignaient les esclaves romains d’abord, puis plus tard les moines, à la chasteté. Plus proche de nous, les femmes et les hommes de la société victorienne du début du 19e siècle en étaient friands. Un piercing pénien, très en vogue actuellement, porte même le nom de « Prince Albert » : le mari de la reine Victoria aurait utilisé un anneau, inséré à la base du gland, pour s’attacher le pénis à la jambe afin de porter des pantalons plus ajustés. Ces pratiques ont été longtemps réservées en Occident aux individus situés en marge de la société, bagnards, légionnaires, marins, gens du voyage […], car les grandes religions monothéistes proscrivent généralement le marquage du corps. Selon les sociologues, ces pratiques doivent leur renouveau à trois groupes : punks, hippies et milieux sadomasochistes des années 80. À cette date, quatre boutiques suffisaient à la demande française, aujourd’hui on en dénombre plus de trois cents.
Ce phénomène concerne tous les milieux sociaux, mais les jeunes sont particulièrement attirés par de telles pratiques qui sont pour eux des « marqueurs identitaires ». Elles permettent aux adolescents d’afficher un signe extérieur de différence plus radical encore que la chevelure ou le vêtement. Ce conformisme identitaire peut prendre des formes extrêmes comme les scarifications, les brandings (marquage au fer rouge), la taille des dents ou les implants sous-cutanés.
IMPACTS MÉDICAUX
Cet engouement (on estime à cent mille le nombre de personnes ayant annuellement, en France, recours au piercing) s’accompagne d’un cortège de complications spécifiques au point de poser un véritable problème de santé publique. Celles liées au piercing du lobe de l’oreille avaient été signalées aux professionnels de santé dès les années 70. Maintenant, l’effet de mode a créé d’autres localisations anatomiques : pavillon de l’oreille, langue, lèvres, nombril, narines, voire organes génitaux externes masculins et féminins. Le piercing n’est pas réglementé en Europe, et aux États-Unis il ne l’est que dans quelques États. Les « pierceurs professionnels » constituent une vaste nébuleuse aux contours mal définis : certains ont pignon sur rue, d’autres opèrent à la sauvette au cours d’une rave-partie ou dans les discothèques ; bijoutiers et coiffeurs commencent aussi à s’y mettre. Comme la plupart sont des autodidactes, l’intérêt d’un encadrement médical est posé d’autant plus que l’hygiène et la sécurité du client ne sont pas leurs préoccupations premières. Résultat : 10 à 30 % des piercings se compliquent d’une infection bactérienne due aux streptocoques, aux staphylocoques, parfois aux pseudomonas. Le risque de contamination par les virus des hépatites B et C, de l’herpès et du papillovirus n’est pas négligeable ; il est plus faible, mais non nul, pour le virus du sida. Le danger est aujourd’hui reconnu et les personnes tatouées ou ayant subi un piercing depuis moins de six mois sont évincées des dons de sang. Aux États-Unis, une étude (1999) de l’Académie américaine d’allergie (École de médecine de New York) montre une augmentation importante des allergies aux métaux du piercing (près de 50 % depuis les années 80).
UN ENJEU D’ÉTHIQUE MÉDICALE
Dans une société à la recherche d’une certaine liberté et d’un certain plaisir, plusieurs tendances se dessinent : Pour certains, c’est une coquetterie, une simple pratique sociale sous forme d’un brillant dans l’aile du nez ou le pavillon de l’oreille. Pour d’autres, il s’agit d’une forme de contestation sociale passant par l’agression de son propre corps. Certains y trouveraient un plaisir sexuel. Il peut aussi s’agir de recréer un lien social au sein de groupes par un rite initiatique (le premier piercing) et l’adoption d’un message symbolique (les mêmes types de piercing). Enfin, pour une minorité pratiquant le piercing à outrance, cette pratique est à rapprocher de l’automutilation.
En filigrane, la question de la place du médecin est posée. Doit-on médicaliser de telles pratiques ?
Oui, si cette pratique est réalisée dans les règles de l’art exigeant un certain nombre de compétences médicales : interrogatoire orienté sur les antécédents médicaux (allergies, diabète, valvulopathie), anesthésie, maîtrise de l’asepsie, geste technique (hémostase), etc.
Non, quand on sait que cette pratique s’inscrit dans un rite au sein duquel le médecin n’a pas sa place. Dans ce contexte, une obligation de médicalisation serait inefficace. En effet, beaucoup de candidats à ce type d’ornement ne souhaitent pas se retrouver dans le cabinet d’un médecin, et les professionnels du piercing ont certainement un savoir-faire artistique que ne partagent pas forcément les professionnels de santé.
Enfin, la médicalisation du piercing ferait courir à la médecine le risque d’une dérive consumériste, avec notamment la tentation de la publicité dans une logique de recrutement de patients.
Il n’empêche que la médecine a un rôle à jouer en terme de santé publique face à l’émergence de cette pratique. Au-delà de toute action coercitive, le médecin a un devoir qui passe, entre autres, par une éducation à la santé. On peut citer l’exemple du dialogue parisien entre les professionnels du piercing et les médecins à l’hôpital Rothschild. De ces discussions sont nés un partenariat étroit et un Guide de bonnes pratiques du piercing (Assistance publique des hôpitaux de Paris) qui retrace les procédures à suivre pour respecter les règles d’hygiène, stériliser le local et le matériel (aiguilles, cathéter, etc.) et éliminer les déchets. La question de la cicatrisation revêt une grande importance. La durée est variable (de 4 semaines à 6 mois) suivant la localisation et la nature du bijou, le geste et les matériaux employés.
TATOUAGES ET AUTRES INTERVENTIONS SUR LA PEAU
Depuis toujours, l’homme se peint la peau ou se tatoue et utilise son corps comme support d’expression. Au départ, le tatouage était une pratique tribale répandue dans le monde entier. Il permettait à chaque individu de marquer son clan, son statut et de se démarquer des autres. Les Indiens d’Amérique utilisaient de la glaise, de l’argile et des pigments végétaux. Chacune de ces peintures avait un objet précis: rite initiatique, guerre, chasse, mariage, cérémonie religieuse. C’est en Océanie que le tatouage a atteint ses développements les plus sophistiqués.
Le mot tatouage est une déformation de deux mots : Ta (dessin) d’Atouas (prêtres éclairés) : Taatouas ! Le plus ancien tatoué, Hibernatus (plusieurs milliers d’années avant J.-C), retrouvé dans un glacier à la frontière italo-autrichienne, avait cinquante-sept tatoos, dont certains semblent liés à une pratique thérapeutique, au niveau des articulations, des genoux et du bas du dos.
En ce début du 21e siècle, le tatouage a-t-il reconquis ses lettres de noblesse ? Ce n’est plus la marque des truands, des voyous ou des bagnards. Il est de nos jours à l’honneur, voire à la mode, dans nos sociétés occidentales. Pour les uns, c’est un acte culturel, pour d’autres, un ornement corporel au même titre qu’un bijou. Chaque couleur a sa signification. Le rouge (ou brun) évoque le sang ou la fertilité. C’est sur le visage des femmes qu’on le retrouve le plus souvent. Le noir, couleur de la nuit, symbolise la virilité guerrière. Le blanc évoque la nourriture, la pureté. Lors des grandes fêtes liées aux semailles ou aux récoltes, les danseurs couvrent leurs corps de motifs rituels blancs. L’ocre se rattache à la terre. On l’emploie à l’occasion de cérémonies destinées à honorer la « Terre Mère primordiale » ou lors des rituels liés à la mort ou à la chasse. Chaque motif a aussi sa symbolique. L’aigle, c’est la puissance, la guerre ainsi que l’élévation spirituelle ; l’araignée : la puissance créatrice ; le dragon : la force et le pouvoir; le faucon(l’âme en Égypte) : la discipline personnelle, la puissance ; le lion : la puissance, la vigilance, l’immortalité et le courage ; le lotus : le sexe féminin ; le papillon : le côté éphémère des choses mais aussi l’âme ; la rose : la fécondité, la discrétion ; le serpent : le mal, la connaissance, la sagesse ; le tigre : la férocité et la puissance.
Dans nos pays, beaucoup de personnes, jeunes ou moins jeunes, ont recours à ces pratiques sans arrière-pensées, sans volonté délibérée de provocation ou d’appartenance à un groupe.
Les tatouages sont fortement déconseillés, voire proscrits, en cas d’hémophilie, de sida, d’hépatite B ou C, de diabète (insulino-dépendant), d’eczéma, d’épilepsie, d’allergie aux produits utilisés (encres, pigments), de cicatrices chéloïdes (énormes et disgracieuses). Les complications comme celles de type abcès sont plus rares que dans le piercing. En revanche, le risque de transmission virale, qu’il s’agisse du sida ou de l’hépatite C, est au moins équivalent. Les tatouages peuvent avoir des complications plus spécifiques, comme les allergies aux encres, des problèmes de cicatrisations pathologiques et hypertrophiques, ou encore des complications liées à une exposition au soleil trop précoce.
Les implants de corps étrangers restent des pratiques très confidentielles. A priori, le risque d’infection bactérienne est inquiétant puisqu’il s’agit d’une véritable intervention chirurgicale : il y a incision, décollement de la peau et introduction d’un objet ou d’un corps étranger dans le tissu cellulo-graisseux pour donner une impression de relief.
Les scarifications sont des incisions superficielles de la peau réalisées à l’aide d’un bistouri. Le risque infectieux est grand et les cicatrices peuvent prendre une allure chéloïde.
RÉFLEXION ÉTHIQUE
La Bible, en utilisant des mots différents des nôtres, parle aussi de pratiques analogues à celles des tatouages, des scarifications et des piercings. La plupart du temps, elle les condamne :
Vous ne ferez point d’incision (scarification) dans votre chair pour un mort, et vous n’imprimerez point de figure (tatouage ?) sur vous (Lv 19.28). Le chapitre 19 du Lévitique commence par l’affirmation de la sainteté de Dieu et s’achève par une exhortation à la mise en pratique parce que Dieu est le Seigneur. Cela donne un ton de solennité à tout le passage, donc à chacun des préceptes énoncés. Même si certains sont très marqués par une culture religieuse et rituelle (comme au verset précédent, « ne pas se raser les coins de la barbe », ce qui aujourd’hui n’a plus beaucoup de sens), et même si cet interdit vise à se démarquer des pratiques des peuples voisins, on ne peut contester que, derrière cette norme, c’est un principe de respect à la fois de Dieu et de nous-mêmes qui est affirmé. Paul l’exprime en ces termes : Ne le savez-vous pas ? Votre corps est le sanctuaire de l’Esprit saint qui est en vous et que vous tenez de Dieu ; vous ne vous appartenez pas à vous-mêmes, car vous avez été achetés à un prix. Glorifiez donc Dieu dans votre corps (1 Co 6.19,20).
Les piercings sont de deux sortes :
1) Ceux qui servaient à maîtriser des animaux (Ez 19.4) et, par extension, probablement à cause de la pratique des armées assyriennes avec leurs prisonniers, à indiquer l’asservissement d’un être humain ou d’un peuple par un autre (2 R 19.28 ; cf. Es 37.29 et Ez 38.4). On mettait une boucle au nez, une chaîne à la bouche pour conduire l’animal ou l’humain asservi où il ne voulait pas aller. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la Bible n’encourage pas l’oppression et l’asservissement que représente cette pratique, et que l’Évangile est, au contraire, un message de libération dans la fidélité à Dieu et dans le combat pour la dignité de l’homme.
2) Ceux qui servaient de parure : boucles d’oreilles, anneaux de nez (Gn 24.47 et Es 3.18-21). De fait, il s’agit donc bien de piercings. Ils étaient plus fréquents et considérés comme positifs par celles qui se faisaient percer le lobe des oreilles ou la paroi nasale. En effet, les bijoux ainsi fixés étaient les signes honorifiques portés par une épouse aimée et fidèle. Le contexte est donc beaucoup plus positif et heureux que dans le premier cas. Toutefois, ils pouvaient devenir des signes mensongers portés par une femme devenue infidèle et prétentieuse.
3) Sans les condamner catégoriquement, la Bible préconise une parure intérieure authentique1 (1P 3.3,4). On doit, certes, respecter les cultures dans lesquelles les décorations cutanées (on peut dire la même chose des tatouages, par exemple) sont considérées comme oeuvres de beauté et formes de culte. Il est néanmoins indispensable de rappeler que, dans la vision chrétienne des choses, notre corps est le temple du Saint-Esprit (1 Co 6.19). Sa vraie beauté, sa valeur et son épanouissement ne résident pas dans des décorations extérieures, dans des apparences risquant rapidement de devenir des vanités, mais dans la simplicité et la droiture du coeur. Ajoutons que tout comportement, vestimentaire ou autre, est un langage, un message, donc un témoignage. Ce sujet peut ainsi être l’occasion, notamment avec les adolescents, d’une réflexion pédagogique sur la vraie liberté et sur toutes les formes d’esclavage, les pires n’étant pas, comme dans le cas précédent, celles qu’inflige un adversaire mais celles que l’individu se choisit, par conformisme ou pour quelque autre raison que ce soit. Une réflexion précoce et une éducation dans ce domaine sont d’autant plus importantes que plusieurs de ces pratiques sont grandement irréversibles. C’est le cas des tatouages et autres formes indélébiles de marquages cutanés ; le croyant, qui désire supprimer une marque corporelle ne correspondant plus à l’apparence désormais souhaitée, peut se trouver devant une impossibilité.
Le croyant créé à l’image de Dieu est invité à s’accepter avec la beauté que Dieu lui a donnée2. Il est assuré qu’il est accueilli tel qu’il est et n’a nul besoin de marquer son corps pour être reconnu et aimé de Dieu et des êtres humains. Il peut se considérer comme libre à l’égard de ces pratiques. Leur abstention, certes, ne peut être une exigence de l’Église ; néanmoins, pour des raisons aussi bien de santé que d’intégrité physique ou de liberté psychologique, l’enseignement3 qui inspire l’engagement chrétien va dans le sens d’une invitation à cette abstention. Par contre, le croyant accueillera tout être humain sans esprit de jugement, avec amour, comme un frère ou une sœur, quels que soient son passé ou son apparence.
Le sceau de Dieu apposé sur le front des croyants, qui s’oppose à la marque de la bête (voir Ap 7.2, 3 et Ez 9.4), n’est ni un tatouage, ni une scarification. C’est une image pour dire que l’autorité qu’un humain accepte dans sa vie se voit dans sa manière d’être et de paraître. Derrière des pratiques que l’on pourrait croire secondaires se cache donc un enjeu spirituel fondamental, celui de l’autorité qui, en dernier ressort, oriente notre vie : N’aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui ; car tout ce qui est dans le monde, le désir de la chair, le désir des yeux et la confiance présomptueuse en ses ressources, tout cela n’est pas du Père, mais du monde. Or le monde passe, et son désir aussi ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour toujours (1Jn 2. 15-17).
Commission d’éthique de l’UFB Novembre 2005