Retour à la page “Déclarations officielles”
(Commission d’Éthique de l’UFB et de la FSR, 2 octobre 2007)
La notion de propriété intellectuelle est très ancienne, puisqu’on en trouve des traces au 6e siècle av. J.C. Cette loi portait sur l’invention de recettes de cuisine. Depuis peu, cette notion est réapparue avec force.
Dans son acception courante, la notion de « propriété intellectuelle » recouvre les droits d’utilisation d’une « création intellectuelle » : œuvre littéraire ou artistique, dessins, marques, logiciels… Elle porte donc sur une « création de l’esprit ». Et l’on estime que l’auteur a un droit moral et patrimonial sur son œuvre, sur sa production. L’homme est en quelque sorte propriétaire du résultat de son travail ou de son génie, et il a le droit de le protéger et d’en récolter les fruits.
Les progrès technologiques actuels ont permis le développement de toutes sortes de biens immatériels. À tel point que le législateur a trouvé nécessaire de légiférer.
Toutefois, aucune loi ne peut répondre à toutes les situations. C’est pourquoi, la perspective chrétienne nous invite à aller plus loin et à nous interroger sur le caractère éthique de certains comportements courants qui nous semblent simples et anodins, mais qui ne sont ni légaux, ni élégants, ni honnêtes, car ils portent aussi atteinte à la propriété intellectuelle.
La Bible et la propriété
Selon la Bible, Dieu considère l’homme comme un étranger et un voyageur sur la terre (He 11.3 ; 2 P 2.11). Ses vrais biens sont ceux d’ordre spirituel par opposition à ce qui est matériel (1 Co 9.11). Idéalement, l’homme est plus appelé à être un gestionnaire, un économe, qu’un « propriétaire ». Tel est le sens fort, par exemple, du principe selon lequel une terre devait être vendue non pour elle-même mais pour ses récoltes, en fonction du temps séparant la date de la vente de l’année du jubilé (Lv 25.13-17).
Cependant, Dieu sait bien que, sans un minimum d’avoir, il est difficile de vivre dignement. En conséquence, il a permis à l’homme d’avoir la jouissance du fruit de son travail ou de celui de ses ancêtres. Dans l’Ancien Testament, un verbe assez fréquent, souvent rendu par « être », « exister » ou « avoir », peut aussi être compris, suivant le contexte, comme « ne pas manquer de », « posséder », « avoir des biens », ou quelque chose ou quelqu’un qui « appartient » à telle ou telle personne (par ex. : Gn 28.16 ; 33.9,11; 39.5). Même s’il fait état un certain moment d’une expérience communautaire (Ac 4.32), le Nouveau Testament ne réprouve pas le fait d’avoir des biens (Ac 5.4). Jésus met en garde contre la tentation des richesses pour elles- mêmes ou contre leur mauvais usage ; il ne condamne pas la propriété en elle- même.
En revanche, ce qui est fortement condamné, c’est le non-respect de la propriété d’autrui. Dieu est le garant de la justice et de l’honnêteté. Le passage mentionné plus haut à propos du jubilé se termine par le précepte : « Aucun de vous n’exploitera son compatriote : tu craindras ton Dieu ; je suis le SEIGNEUR (YHWH), votre Dieu » (Lv 25. 17). Ce n’est pas seulement une règle éthique concernant les rapports, en quelque sorte, horizontaux, des hommes entre eux, cette règle découle d’un principe spirituel, d’un lien vertical avec le Seigneur. La crainte de Dieu, à savoir la relation respectueuse avec le propriétaire de toutes choses, doit se concrétiser par le respect de l’autre sous toutes ses formes. Respect de sa personne évidemment, mais aussi respect de ses biens. C’est bien ce qu’exprime la seconde table de la loi sur les rapports humains après la première table posant le fondement de la relation entre Dieu et l’homme: « Tu ne commettras pas de vol », « tu ne convoiteras pas… »(Ex20.15,17). L’Évangile prend fermement en compte cette attitude. Conséquence logique de l’expérience du salut, la foi invite, certes, à une conduite d’amour et de pardon (Mt 18.27,28) mais aussi de droiture, de probité, de dignité en toutes choses (1Tm 2.2).
Le respect des biens est aussi une conséquence directe de l’application de la règle d’or et de l’amour par lequel Jésus résume la loi. Le chrétien, mu par l’Esprit du Christ, est poussé à faire pour autrui ce qu’il voudrait que les gens fassent pour lui (Mt 6.12) et à aimer le prochain comme lui-même (Mt 23.39). Il suffit, pour comprendre la nécessité de la réciprocité, de penser aux sentiments que l’homme ressent lorsqu’il lui arrive d’être abusé, volé, exploité, spolié, escroqué, cambriolé ! Cette dimension émotive, intérieure, liée à une relation personnelle, renforce en l’homme le principe de pure obligation externe et légale. Mais la question se pose : Quels biens s’agit- il de respecter et comment ?
Des biens à respecter
Ce qui vient d’abord à l’esprit concerne les biens concrets (bétail, or, propriétés mobilières ou foncières) tels qu’une société agraire comme celle de la Bible les envisageait. Pourtant, d’autres biens, moins visibles, peuvent être évoqués. Le travail, le temps, la compétence, la création (au sens de création intellectuelle, artistique, etc.) entrent dans la catégorie des biens pouvant appartenir à une personne. L’époque actuelle, avec ses formidables avancées technologiques, a augmenté et souvent même créé de toutes pièces des biens immatériels qui ne sont pas aisément discernés comme tels. En conséquence, à moins d’une réflexion sérieuse que ce texte voudrait alimenter, l’homme contemporain -le chrétien en est un- a du mal à prendre conscience de ses comportements en termes d’éthique, et plus encore à définir une ligne de conduite.
Avec certains livres, par exemple les livres d’art, la possession d’un exemplaire papier est encore un but en lui-même. Mais pour de nombreux ouvrages scientifiques, techniques, historiques, etc., ce qui intéresse le lecteur, c’est surtout la documentation que ces livres contiennent. Or, celle-ci est maintenant disponible sous une forme pratiquement immatérielle. C’est pourquoi bibliothèques et médiathèques paient des droits d’auteurs forfaitaires pour les informations et les documents graphiques ou sonores mis à la disposition du public.
La photocopie et la numérisation permettent de conserver, et même de répandre abondamment, ce qui est évidemment illégal, la teneur d’une œuvre. Une personne peut emprunter un livre ou un support numérique, le copier et le rendre. En tant qu’objet matériel, celui-ci n’a pas été « volé ». Mais y a-t-il eu, pour autant, respect de la propriété ? Qu’est-ce qui constitue la valeur de cette œuvre ? Nous venons de le voir, ce ne sont pas les éléments matériels. La valeur et les droits de protection qui y sont attachés résident dans les informations, savoirs, expériences, réflexions qu’elle contient. Ainsi émergent d’autres catégories de biens. Les droits d’auteur en sont un exemple parmi beaucoup d’autres. Une copie illégale prive l’auteur du légitime salaire de son travail. Mais ces droits entrent dans un ensemble commercial plus vaste et complexe géré par un éditeur qui assume des coûts très élevés. Le « photocopillage » prive donc l’éditeur de rentrées que l’on peut, pour faire simple, associer à la notion, très large, de propriété intellectuelle ; il prive aussi le libraire d’une partie de ses revenus. Ce qui est vrai de l’écrit l’est aussi de nombreux autres domaines, musical, audio-visuel, informatique, etc. On sait à quelles procédures commerciales ou judiciaires cela peut donner lieu, puisque même l’exécution publique d’œuvres musicales1 est soumise à déclaration et éventuellement à redevance.
Une exigence éthique
Revenons à notre propos introductif sur le message biblique et son éthique exigeante concernant les biens. À condition de ne pas en faire des idoles, Dieu autorise l’être humain à avoir des biens et à en jouir, et il a inspiré des lois sociales pour les protéger. Mais à ces droits sont associés des devoirs. Le droit d’être respecté par l’autre entraîne le devoir de respecter l’autre, quel qu’il soit, dans sa personne et dans ses biens. Tant que ces personnes sont des personnes physiques, et tant que ces biens sont traditionnels et matériels, il peut certes y avoir des abus et de violations qui, hélas ! sont monnaie courante, mais au moins la conduite éthique du croyant est assez clairement définie. La vie moderne voit l’apparition et l’arrivée en masse de nouveaux « biens » pouvant appartenir à des personnes morales, invisibles, mal connues ; avec ce phénomène s’opère une transformation profonde des conduites humaines dans tous les domaines. Ces biens constituent, du point de vue moral social ou juridique, des labyrinthes difficilement imaginables il y a encore quelques décennies. Nous sommes peu préparés à les affronter, aussi bien intellectuellement que moralement, et le commun des mortels peut s’y sentir en zone de non-devoir ou de négation du droit de l’autre. Il vaut la peine, pour un meilleur repérage éthique, d’examiner quelques fonctionnements liés à cette nouvelle donne.
Le premier élément auquel il a déjà été fait allusion est la perte de visibilité de l’interlocuteur. Le phénomène est général et banal : retirer de l’argent, prendre un billet de train, demander une information au téléphone, place la personne devant un distributeur ou un répondeur automatique. Cela veut dire que dans le comportement moral, celui-ci ne peut plus s’étayer sur une relation affective ; sa seule ressource est le principe absolu et froid, qui chez beaucoup de nos contemporains ne fonctionne plus très bien tout seul. Lorsque le propriétaire de certains biens est lointain, ou lorsque c’est une collectivité, une administration, une société anonyme, alors, non motivé par ce sentiment de réciprocité directe, notre sens moral ou civique risque de s’émousser. Inconscient de l’enjeu éthique, par indifférence, par habitude, parce que tout le monde le fait, l’individu ne respecte plus le bien d’autrui ; il ne se rend même plus compte qu’il ne lui appartient pas.
Le second élément, thème principal de ces lignes, tient à l’aspect « non matériel » des biens visés. Si quelqu’un vole un objet, oeuf… ou boeuf, il prive effectivement le propriétaire de cet objet. Mais si une personne use illicitement d’une production, il ne « prive » pas l’auteur, le propriétaire – au sens de propriété intellectuelle – de la jouissance de celle-ci. Dès lors, une sorte de cécité sur la nature de l’acte risque de frapper cette personne. Cela lui paraît peu grave, ou même normal. Et pourtant, il prive l’auteur des fruits de son travail, sans compter qu’il peut y avoir détournement ou utilisation frauduleuse d’oeuvres. Faire du copier-coller et prendre des textes sur Internet pour nourrir une dissertation ou un mémoire un peu anémique, en les présentant comme un travail personnel, c’est, à notre époque, du plagiat, et c’est répréhensible. Nous devrions donc, dans nos choix, nous méfier du critère sentimental et décider plutôt en fonction de principes. Une petite voix tentatrice peut aisément suggérer qu’il ne faut pas être juste à l’excès, ou que c’est à des fins positives: efficacité ou budget personnel (piratage d’un logiciel), ou communautaire (par exemple photocopier en grande quantité -non pour un dépannage occasionnel- un Guide d’Étude de la Bible).
Comme précédemment, une impression d’injustice, par exemple, ou un besoin de revanche, peuvent parasiter la réflexion et le comportement. Ainsi le faible contre le fort, le pauvre contre le riche, l’exploité, réel ou non, contre l’exploiteur (voire le voleur), risquent de justifier leurs actions parce qu’elles sont vécues comme une sorte de protestation morale. « Je ne me sens coupable de rien, mais ce n’est pas pour cela que je suis justifié » (1 Co 4.4). Si, dans de nombreux cas, les droits et devoirs concernant la propriété intellectuelle semblent clairs, il reste des situations plus ambiguës (par exemple télécharger un film qui est déjà passé à la télévision ou photocopier un document pour rendre service). Elles seront l’occasion importante d’exercer un droit et un devoir de conscience selon le principe énoncé par Paul : « Tout ce qui ne vient pas de la foi est péché » (Rm 14.23). Dans tous les cas « limites », la ligne de conduite à suivre sera une réflexion personnelle quant à la justesse de l’action entreprise.
Conclusion
On le sait, tout ce qui est légal n’est pas forcément permis et moral pour le chrétien. À plus forte raison, le citoyen à part entière qu’est le chrétien se doit donc de respecter la loi. Mais lorsqu’il n’y a pas de conflit de conscience (Ac 5.29), ce qui est légalement exigé devrait être une règle de conduite minimum. Indépendamment même de la « peur du gendarme », ou avant de répondre à une obligation légale, nationale ou ecclésiastique, son comportement résulte prioritairement d’une conscience lucide et aiguë au service d’une démarche générale de respect. Le domaine, délicat, parfois difficile, abordé ici ne fait pas exception. Dans cette perspective, les lignes précédentes n’ont pas vocation à être une exigence extérieure ; elles se veulent une aide à la réflexion, éclairante et motivante, afin que chacun puisse construire sa vie morale de la manière la plus noble et la plus authentique.
1 Dans ce domaine, il faut distinguer les droits d’éditeurs des droits d’auteurs. En France, dans le contexte de la musique religieuse, les Églises s’acquittent du droit d’auteur en se déclarant à la SACEM. Elles sont exonérées de droits pour tout ce qui concerne le culte. Pour ce qui est des droits d’éditeurs, il s’agit notamment d’avoir le droit de projeter des chants (rétroprojection ou vidéoprojection), ce qui est un manque à gagner pour les éditeurs qui, du coup, vendent moins de recueils de chants. Un organisme existe, le LTC, qui gère l’essentiel des droits d’éditeurs des chants chrétiens d’Église. Une redevance annuelle permet aux Églises locales de projeter leurs chants. Un contrat global est en cours avec l’Union franco-belge qui relance chaque année les Églises pour savoir si elles projettent ou non des chants.
En Belgique, des droits d’auteurs doivent être payés à la SABAM, y compris pour le culte. Toutefois, si dans nos Églises on chante les chants du recueil adventiste, il n’y a pas de problème car les droits ont été négociés par la Maison d’édition.
En Suisse, l’Union suisse a signé un contrat avec SUISA (Société Suisse pour les droits des auteurs d’oeuvres musicales ) et verse chaque année un montant à celle-ci.